Paris, 20 sept (ALP) J.A. Miller a fait parvenir à
l'Agence le texte suivant, qu'il a adressé à M. de Mijolla.
« Cher Monsieur de Mijolla, j'espère ne pas
abuser de votre temps en vous priant de transmettre le texte qui suit à
M. Denis, en réponse à sa rectification, transmise par vous-même.
Avec mes remerciements sincères, JAM.
1) Je te remercie de m'avoir transmis que J.A. Miller serait
heureux que tu puisses jouer le rôle d'intermédiaire entre lui
et moi, et sa suggestion d'une enquête, publiée dans la Revue,
qui permettrait à l'École de la Cause de parler de la façon
dont elle assure la formation.
Je remercie M. Denis de prendre note de la suggestion que je
lui ai transmise par l'entremise de M. de Mijolla. Ce qui n'est pas
clair, c'est s'il l'accepte ou s'il la rejette. Or, c'est
de cela qu'il s'agit. Accepte-t-il de publier un droit de réponse,
sous une forme ou sous une autre, ou continue-t-il de le refuser ? Je souhaite
pour tout le monde que M. Denis prenne enfin son parti.
2) J'ai été cependant surpris en comprenant
que cette proposition était postérieure à la rédaction
de la seconde lettre que Miller adresse "au public éclairé"
et qui poursuit les attaques personnelles contre Gilbert et moi.
Surpris. Je ne comprends pas cette remarque. M. Denis aurait
été moins surpris que je fasse cette proposition avant et non
après ma seconde Lettre ? En fait, ce qui est surprenant, c'est
que je fasse, moi, des propositions. Je ne devrais pas en faire du tout, et
attendre celles de M. Denis. Comme il n'en fait pas tout en ayant l'air
bien embarrassé (je le comprends) et tout en embarrassant aussi bien
la Société dont il est membre que l'ensemble de la profession,
eh bien, j'en ai fait une à sa place.
Attaques personnelles. Ce n'est pas l'expression
que j'emploierais. J'émets une protestation en raison du traitement
que m'a réservé M. Denis, Directeur de la RFP lui
personnellement, car j'ai toutes raisons de penser que le Président
de la SPP n'est pas exactement sur la même longueur d'onde que
lui. De même, je proteste contre l'attitude et les propos de M. Diatkine,
les siens et ceux de nul autre. J'ai été personnellement
attaqué dans la RFP, et nommément. Je réponds ad hominem,
ou homines, et je nomme les responsables des attaques que j'ai eu à
subir. Que veut M. Denis ? Que je m'en prenne à la SPP ? À
l'Internationale ? Je ne le ferai pas. Je n'ai aucun contentieux avec
ces organisations. C'est lui que j'interpelle.
3) Par parenthèse l'expression "péter les
plombs" a été employée par le journaliste de Libération
et non par moi, et je n'ai pas eu communication de son texte avant publication.
Je lui avais envoyé un texte écrit où aucune expression
de ce genre ne figurait, texte dont il n'a utilisé que la fin.
Ce que M. Denis introduit par l'expression à signification
diminutive ³par parenthèse³, est une chose très sérieuse
: cela s'appelle un démenti. M. Denis dément avoir tenu les
propos que M. Favereau lui prête dans Libération du 7 septembre.
Aux États-Unis, il y aurait aussitôt procès entre M. Denis
et le journal, voir l'affaire Masson contre Janet Malcom, du New Yorker,
pour rester dans la psychanalyse (je les ai rencontrés tous deux). M.
Denis met négligemment en cause l'honneur professionnel d'un
journaliste. Je crains que M. Denis n'ait toujours pas appris à
mesurer la portée de ses propos.
De plus :
a) le démenti n'est pas clair : M. Denis ne dit pas
clairement qu'il n'a pas prononcé ces mots devant le journaliste
;
b) M. Denis n'a demandé aucun rectificatif au journal,
ni sur le coup, ni même maintenant ; il ne tient qu'à lui
de le faire aujourd'hui même ;
c) M. Favereau ne m'a pas montré son papier à
l'avance ; il serait normal qu'il ait fait de même avec M. Denis
;
d) M. Denis écrit : ³Je lui avais envoyé
un texte écrit où aucune expression de ce genre ne figurait, texte
dont il n'a utilisé que la fin.² Je ne suis pas sûr que
M. Denis soit bien placé pour se plaindre d'une censure de la part
de Libé. Lui-même n'a utilisé de la lettre que
je lui ai adressée et qu'il était légalement tenu
de publier, ni la fin, ni le début, ni le milieu : rien du tout. Un journaliste
n'est tenu qu'à faire un article intéressant ses lecteurs,
et vérace. Éric Favereau a condensé mes propos, il ne les
a pas trahis : en lisant l'article, j'ai pensé que j'aurais
pu m'exprimer mieux, je n'ai pas songé à mettre en cause
la probité de M. Favereau. Si ma pensée avais été
trahie ou travestie, j'aurais aussitôt demandé un rectificatif.
C'est ainsi que l'on fait. M. Denis n'a pas l'usage de la
presse. Ce n'est pas obligatoire pour un analyste, c'est recommandé
pour le directeur d'une revue, surtout quand il est contraint de parler
à un journaliste.
4) Cela dit, la disproportion entre la charge de Miller et
l'incident qui lui sert de prétexte et que lui-même a qualifié
d'infime à France Culture permet de se poser des questions sur ses intentions.
Le procédé qui consiste à se déclarer insulté
pour s'arroger le droit d'insulte est difficilement admissible.
Disproportion. J'ai dit : le nez de Cléopâtre.
Il existe des corrélations non-linéaires, qui sont à la
base de la théorie du chaos. Un papillon, etc. J'ai comparé
sur France-Culture M. Denis à Gaston Gallimard refusant en 1919 un droit
de réponse à Jean Cocteau. C'est dire que, tout en luttant
pied à pied, je garde une distance ironique à l'endroit de
cette affaire. M. Denis devrait être rassuré de ne pas avoir affaire
à un fanatique.
Intentions. Mes intentions sont limpides :
a) obtenir la publication, dans le plus prochain n° de la
RFP d'un texte valant droit de réponse. Ce, pour le principe (on
me dit que la revue vend 700 exemplaires, c'est moins que je ne croyais,
est-ce exact ?) ;
b) maintenant que ma protestation toute personnelle a éveillé
des échos dans l'opinion éclairée, parce que chacun
a rencontré dans sa vie le bâillon, la méconnaissance du
droit et le déni de justice, et du fait que les voix qui comptent le
plus pour moi dans la vie intellectuelle et dans la sphère publique m'ont
assuré de leur solidarité en me pressant de continuer, mon intention
est de poursuivre ce que j'ai appelé, non sans emphase et ironie,³l'éducation
freudienne du peuple français².
Admissible. M. Denis me refuse le droit de m'expliquer
dans sa revue et exige de plus que je me taise dans la mienne, celle que j'ai
dû créer de toutes pièces pour avoir une tribune qui me
permette de lui répondre. C'est cela qui me semble difficilement
admissible.
Je me ³déclare² insulté ? Libération
du 7 septembre a publié une insulte de M. Denis à mon égard.
Nous sommes le 20 septembre, je n'ai lu aucun démenti de M. Denis
dans la presse. J'ai reçu hier le message de M. de Mijolla, comportant
une rectification de M. Denis qui n'est pas bien claire. Donc, au moment
d'écrire et de diffuser ma seconde Lettre, j'étais bel
et bien insulté par M. Denis dans Libération.
5) Il n'est pas du tout certain qu'un tribunal me donnerait
tort de ne pas avoir publié la lettre dont il avait demandé l'insertion
: il n'y avait pas, quoi qu'en dise Miller, matière à exercer
un "droit de réponse" au sens légal du terme. Je suppose
d'ailleurs que si tel avait été le cas il n'aurait pas manqué
d'intenter à la Revue un procès en bonne et due forme.
Je ne sais qui est le conseil de M. Denis. Le mien est mon ami
Maître Christian Charrière-Bournazel. Le sien peut prendre contact
avec lui si c'est la voie qui lui convient. Je ne le souhaite pas. Je n'ai
pas consulté Christian avant de répondre à M. Denis le
24 août. Je n'ai pas songé une seconde à poursuivre
la SPP en justice. C'est lui, personnellement, comme directeur de la revue,
qui est en cause. J'ai voulu tout de suite en appeler à l'opinion.
M. Denis écrit :³Il n'y avait pas, quoi qu'en
dise Miller, matière à exercer un "droit de réponse"
au sens légal du terme.² J'ouvre mon Dalloz au chapitre
du droit de réponse. Mon édition est ancienne, 1982, la loi a
changé depuis, non l'esprit de la loi. Je donne les extraits qui
me paraissent les plus significatifs. Toute ma science vient de là.
³Ce droit (le droit de réponse) apparaît
non point comme une légitime défense répondant à
une accusation mais comme l'exercice d'un droit fondamental
de la personnalité exercé de la façon la plus large pour
permettre que soit assurée une information complète sur une pensée
ou un comportement qui a pu être partiellement exposé dans la presse.
C'est ainsi que le droit de réponse est beaucoup plus large que
ne peut l'être l'action en diffamation. () Il suffit qu'une
personne ait été désignée dans un journal ou un
écrit périodique pour exercer le droit de réponse. ()
Lorsque la personne visée n'a pas été désignée
de façon précise, mais peut être reconnue de façon
équivoque par une description suffisamment révélatrice
de sa personnalité, le droit de réponse doit être admis
() Le droit de réponse a été défini par la
Cour de cassation comme étant « un droit général
et absolu ». () Le droit de réponse est indépendant
du contenu de l'information et peut donc être exercé non seulement
lorsque la mise en cause comporte des critiques, des diffamations ou des injures,
mais aussi lorsqu'elle contient des éloges, qu'elle est exempte
d'erreur ou d'inexactitude. De ce principe, il s'ensuit les conséquences
suivantes :
Seul celui qui est mesure de l'exercer demeure juge
de l'opportunité de cette réponse.
De même, le rectificatif que de lui-même le
journal aura publié, n'empêche pas l'exercice du droit
de réponse.
Enfin, il n'est pas nécessaire que le bénéficiaire
du droit de réponse justifie d'un intérêt ou d'un
préjudice.
Le droit de réponse peut être également
exercé en matière de critiques qu'elles soient littéraires,
artistiques ou scientifiques. ()
On ne trouve de limite à l'exercice du droit de réponse
que dans la mesure où son exercice constituerait un « véritable
abus de droit ». La mise en cause doit avoir lieu dans des journaux ou
périodiques, quelque soit leur dimension, leur nature, ou leur périodicité.
Par contre, le droit de réponse est exclu du Journal officiel, sauf pour
la partie qui ne publie pas de textes officiels, et des recueils officiels de
décisions judiciaires. Enfin, n'y est pas soumise une publication
qui ne serait pas périodique, puisque précisément le défaut
de périodicité empêcherait la publication du texte dans
un exemplaire ultérieur. ()
La réponse qui doit émaner du seul intéressé
ou de ses ayant droits directs, sera adressée au directeur de la publication
ou à défaut à son gérant. En ce qui concerne les
modalités de transmission, une lettre recommandée ou une simple
lettre suffit, voire un télégramme en cas d'urgence, et notamment
en période électorale. () Si la publication appelée
à respecter l'exercice du droit de réponse ne peut rectifier
d'office les erreurs qu'elle contient, par contre elle peut supprimer
certains passages qui peuvent être contraires à l'intérêt
public ou des tiers, à l'ordre public ou à l'honneur
du journaliste, sous le contrôle direct des juridictions et notamment
de la Cour suprême. ()
La publication qui est tenue d'insérer la réponse,
ne peut être contrainte à publier des propos de nature à
porter atteinte à son honneur ou à sa considération. Il
y a lieu d'observer que les cours et tribunaux s'efforcent de maintenir
un certain équilibre entre la violence de la mise en cause et celle de
la réplique. C'est ainsi que dans la mesure où la réplique
ne dépasse pas en violence le ton de l'attaque, la publication n'a
aucune excuse de ne pas publier le texte de la réponse. ()
Le caractère insultant pour le journal qui peut justifier
d'un refus de réponse, doit s'entendre non point seulement
de ce qu'il atteint l'auteur de l'article auquel il est répondu,
mais aussi s'il vise la direction du journal dans lequel l'article
a été publié, y compris la personne morale ou physique
qui en est propriétaire. () La non-pertinence de la réponse
se trouve discrétionnairement appréciée par les juridictions
qui ont à connaître d'une action sur le refus de réponse.²
Il n'y aurait pas de honte de la part de M. Denis à
reconnaître qu'il ne connaissait pas ce point de droit, qu'il
ignorait que le droit de réponse est ³indépendant du contenu
de l'information², que ³seul celui qui est en mesure de l'exercer
demeure juge de l'opportunité de cette réponse².
Il est clair que M. Denis ignore ce point de droit. Sinon, il
n'aurait pas écrit : ³Il n'y avait pas, quoiqu'en
dise Miller, matière à exercer un « droit de réponse
au sens légal du terme ».² Non. Dès lors que Miller
est nommé, ce qu'en dit Miller l'emporte légalement
sur ce qu'en dit Denis.
Un psychanalyste n'est pas un juriste. Je ne le suis pas
plus que M. Denis. Je ne sais que ce que dit le volume Dalloz intitulé
Le droit de la presse, et ce que mon conseil m'a dit le 3 septembre,
à savoir que la loi précisait maintenant la forme de la réponse,
et avait modifié les délais légaux pour saisir les tribunaux.
Je m'en vais acheter la dernière édition.
6) Il reste qu'il utilise cette accusation de manquement au
droit de réponse pour faire justice lui-même et se livrer à
des propos qui sont fort proches de la diffamation. Dans ces conditions je vois
mal comment trouver un terrain d'entente.
Faire justice moi-même. Non. Je ne joue pas les
justiciers, je ne fais pas le cow-boy. Je prends à témoin l'opinion
éclairée. C'est une vieille tradition française.
Des propos proches de la diffamation. Réglons confraternellement
cette affaire, cela vaudra mieux pour tout le monde. M. Denis parle de diffamation.
Qu'il prenne d'abord la précaution de lire le chapitre sur
la diffamation, qui est le plus intéressant du livre d'un point
de vue analytique.
Entente. Rien de plus simple. Il y a plusieurs façons.
M. Denis reconnaît qu'il ne connaissait pas le point de droit qu'il
ne connaissait pas ; il publie ma lettre. C'est la voie que je préfère.
Autre voie : il ne reconnaît rien du tout, mais m'informe que la
Revue, dans sa plus prochaine livraison, donnera la parole au Président
de l'École de la Cause freudienne pour exposer, sans esprit de polémique,
notre conception et notre pratique de la formation analytique. Je me dirai satisfait.
De plus, je suis ouvert à toute contre-proposition de sa part.
Si M. Denis veut bien admettre qu'il a fait une erreur de
bonne foi, j'oublie tout. Si M. Denis ne me répond pas ou s'obstine,
je continue en haussant d'un demi-ton ».