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Jacques-Alain Miller
Les Séminaires de Jacques Lacan
[space] © lacan.com 2004

 

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Entretien avec Jacques-Alain Miller

 

04-X-2004

Luis Solano: Vous avez annoncé hier aux dernières Journées de l'École la sortie du Séminaire XXIII, Le sinthome, l'année prochaine. Vous confirmez?

Jacques-Alain Miller: Le manuscrit est entre les mains des éditions du Seuil, le livre sera en librairie en mars, la sortie du suivant est prévue pour octobre. J'ajoute que le programme éditorial établi avec le Seuil échelonne sur le même rythme les parutions à venir.

LS: Qu'est-ce qui explique l'établissement d'un tel programme?

JAM: Le centenaire de Lacan est intervenu en avril 2001, et j'ai toujours pensé que cela marquerait une coupure.

LS: Quelle coupure?

JAM: Je pensais que le moment serait venu d'historiser Lacan, comme je me suis exprimé alors dans mes discussions avec le Seuil. Je voulais dire par là, entériner la distance historique qui nous sépare de lui, le situer en son temps, qui est maintenant plus éloigné du nôtre, sortir les manuscrits, et même recueillir les souvenirs, comme nous avons déjà commencé à le faire dans Qui sont vos psychanalystes? À l'occasion de ce centenaire, rappelez-vous, dans une intervention reprise dans mes Lettres à l'opinion éclairée, j'ai même proposé à tous les élèves de Lacan, et tout particulièrement à ceux qui ne sont pas dans notre École, de collaborer avec moi à ce travail.

LS: Ça tient toujours?

JAM: Ça tient.

LS: Vous n'avez pourtant pas eu beaucoup de succès sur ce point! Il y a toujours du ressentiment à votre égard de ce côté-là!

JAM: Sans doute, mais...

LS: On a pu encore s'en apercevoir dans Le Figaro littéraire à la rentrée.

JAM: Écoutez, ne jurons de rien. Par exemple, j'avais, il y a longtemps, conçu le projet de "livres-compagnons" du Séminaire de Lacan, sur le modèle des "Companion-books" anglais, eh bien, vous ne croiriez jamais de quel côté on vient de me le rappeler. On voudrait faire ça avec moi. On ne me le demande pas forcément dans les formes de la politesse la plus exquise, mais la demande est là.

LS: De quel côté s'agit-il?

JAM: Laissons cela pour l'instant. L'année du centenaire, j'avais évoqué avec les éditions du Seuil la création de "Cahiers Jacques Lacan", et certains de nos "frères séparés", si je puis dire, étaient disposés à y participer. Une maquette a même été réalisée au Seuil.

LS: Ces "Cahiers" n'ont pas vu le jour.

JAM: L'affaire Lindenberg, puis l'affaire Accoyer, ont retardé la réalisation de tous ces projets, mais tout est là pour les reprendre.

LS: Et le Séminaire?

JAM: Pour ce qui est du Séminaire, j'ai toujours pensé qu'à soixante ans, si je voulais arriver au terme de la tâche, il me faudrait accélérer les parutions. J'ai atteint cet âge en février dernier, et j'admets depuis lors que je ne suis plus un jeune homme. Or, ce moment coïncide avec le désir de la nouvelle direction du Seuil, de réaffirmer son engagement à l'endroit de l'oeuvre de Lacan après certains soubresauts qu'a connus et que connaît encore la maison. D'où le programme du Séminaire. Il y a d'ailleurs d’autres projets.

LS: Lesquels?

JAM: Le nouveau directeur de l’édition les annoncera prochainement.

LS: Qui est-ce?

JAM: Olivier Cohen. C'est un éditeur connu sur la place, qui a créé les éditions de l'Olivier, un agrégé de philo qui a été l'élève de Desanti, la psychanalyse a joué un rôle dans sa vie. Je viens de faire sa connaissance, tout laisse augurer que nous aurons une bonne relation. Il y a également Monique Labrune, elle aussi agrégée de philo, qui est arrivée l'an dernier pour coordonner le domaine où s'inscrit la collection du Champ freudien, et nous nous entendons fort bien. Evelyne Cazade, que je connais depuis toujours, est fidèle au poste, avec une compétence précieuse dans l'édition de Lacan. Isabelle Creusot, une amie, est au service des attachés de presse. Enfin, les maquettes sont le domaine de Valérie Gautier, à qui je dois par exemple les couvertures des deux derniers Ornicar?

LS: Elles sont superbes!

JAM: Eh bien, elle a conçu la maquette vraiment réussie d’une nouvelle série de petits volumes de Lacan, dont les deux premiers sortiront en janvier. Je les ai présentés ce matin même aux représentants du Seuil.

LS: De quoi s'agit-il?

JAM: Je ne veux pas faire des cachotteries, mais je ne peux pas tout dire non plus. Olivier Cohen a prévu de communiquer prochainement sur le sujet.

LS: Puisque vous venez de parler de la maison d'édition, vous savez sans doute que le rachat du Seuil par La Martinière a provoqué des inquiétudes dans notre milieu.

JAM: Il est clair que l'édition de papa, pour parler comme le général de Gaulle, c'est terminé. De grands remaniements capitalistiques sont partout en cours. J'ai connu le Seuil il y a près de quarante ans. Il ne m’est pas difficile d’avoir la nostalgie de l'époque de Paul Flamand et Jean Bardet, qui était aussi celle du premier François Wahl, avec lesquels j'ai discuté de l'entrée des Cahiers pour l'analyse, puis de la parution des Quatre concepts et de celle du Séminaire. Je peux penser que c'était le nec plus ultra de l'édition, et que le niveau n’a cessé depuis lors de baisser, comme à l'école. Mais que croyez-vous que pensaient ceux qui ont vu jadis Bernard Grasset introduire la publicité dans l'édition, et lancer ses auteurs, "les quatre M.", comme des savonnettes? Ne parlons pas du désastre Gutenberg. Graver dans la pierre, ça vous avait tout de même une autre allure. La vérité des temps modernes, c'est que, pour paraphraser Baudelaire, tout change plus vite que le coeur d’un mortel. Alors, il y a toujours le même choix à faire: ou se rallier sans autre forme de procès, voire en remettre, ou se renfermer dans son chagrin, ou encore persévérer en naviguant au plus près.

LS: Alors, dans le cas présent...

JAM: Dans le cas présent, tout en regrettant le départ précipité de Claude Cherki et la retraite de Françoise Peyrot, je constate qu’un certain nombre de marqueurs de l'identité du Seuil sont préservés. Le Seuil a pour PDG le fils de Paul Flamand, Pascal, que Judith Miller connaît de longue date, Isabelle, la fille de Jean Bardet, reste présente, et Olivier Cohen me paraît être un homme à la nuque raide. Ce qui décide de tout, c'est qu’une bonne part de l’oeuvre de Lacan est là, dont tous ses écrits, et que je reste et veux rester auprès d’elle, pour la faire exister, elle si intempestive, dans les formes qui sont celles de l'existence éditoriale contemporaine, et qui conditionnent l'accès au public.

LS: Vous ne dîtes rien de monsieur de La Martinière lui-même?

JAM: Il n'a pas cherché à me rencontrer, ni moi lui. Pour ce que je vois, pour ce qui concerne mon champ d'action, les décisions éditoriales se prennent au niveau du Seuil, et ce sont les interlocuteurs que j'ai dits qui les prennent. Si les actionnaires devaient venir embarrasser la marche des choses, ce serait une autre paire de manches.

LS: Que feriez-vous?

JAM: J'aviserais.

05-X-2004

LS: Voulez-vous dire quelque chose du Monde de ce soir?

JAM: Sur la forme, le style "défense du consommateur" est décidément le plus petit dénominateur commun de la presse française. Sur le fond, alors que le législateur a botté en touche et que le gouvernement fait la pause, le ministre voudra-t-il rédiger en toute urgence des décrets bien problématiques? Je crois M. Douste-Blazy trop fin politique pour faire cette erreur.

LS: Depuis la diffusion du premier entretien, j'ai reçu quelques questions et des propositions pour vous.

JAM: J'en ai reçu aussi. J'y répondrai.

LS: Dans l'une, il est question de lettres inédites de Lacan.

JAM: Très bien.

LS: On demande comment collaborer aux Cahiers dont vous parlez. On se demande aussi ce que c'est, ces "livres-compagnons".

JAM: Lacan ne voulait pas d'édition critique du Séminaire, j'avais donc pensé à des volumes distincts qui réuniraient du matériel auquel pourrait avoir recours un lecteur intéressé.

LS: Quel matériel?

JAM: Des références, des textes peu accessibles, des traductions, quelques éclaircissements, des index. Bref, des travaux d'érudition, modestes, "unobstrusive" dit-on en anglais, sobres et précis.

LS: Comme par exemple les textes sur le contre-transfert que commente Lacan dans L'angoisse, et qui ont été traduits chez Navarin voici une dizaine d'années.

JAM: Par exemple.

LS: Je voudrais maintenant vous poser une question sur un mot que vous avez employé samedi soir à l'Assemblée générale de l'École, "satellisation".

JAM: Qu'ai-je dit? Que l'affaire Accoyer avait incité quelques groupes à se concerter avec la SPP, et que certains deviendraient à terme ses satellites.

LS: Pourquoi "à terme"? Ce n'est pas déjà fait? Quelqu'un a parlé d'ipéïsation rampante des esprits.

JAM: Une contradiction demeure tout de même entre le standard et la séance courte. LS: Mais il y a aussi des contradictions entre eux et nous. Et il y a des lacaniens qui travaillent avec la séance standard, non seulement en Argentine, mais maintenant en France.

JAM: C'est vrai, il y a de tout. Mais il y a aussi beaucoup de lacaniens hors de l'École qui répugnent à la perspective d'être satellisés.

LS: Surtout quand ils verront l'éditorial de la dernière Newletter de l'IPA. Il invite à "mieux répondre aux besoins de la santé mentale", et il y a ensuite trois phrases qui commencent par la même formule, "Il n'y a rien de déshonorant à..." En particulier, "Il n'y a rien de déshonorant à se plier aux méthodes quantitatives en les adaptant aux conditions particulières de notre clinique". JAM: Oui, c'est la ligne TCC. Ce n’est pas la seule. Il y a aussi la ligne PPC, "psychopathologie clinique". On se dispute déjà entre les deux les futures "étudiants en psychothérapie" qu'on imagine. Il y a des ipéïstes d'un côté comme de l'autre. Ils finiront par s'entendre.

LS: La SPP est quoi?

JAM: Plutôt PPC. Elle entraînera dans son sillage quelques satellites qui distribueront du Lacan aseptisé, formaté PPC. Sa politique traditionnelle est de prendre les places.

LS: Et nous?

JAM: Nous pourrions prétendre à ces places, bien entendu, mais il est plus conforme à notre vocation à nous de contester la donne, de creuser notre sillon, et de faire une offre toute différente.

LS: Et les psychothérapeutes?

JAM: Ils se défendent vraiment pas mal du tout. Nous nous rencontrerons prochainement, je l'espère.

LS: Et le Forum du 5 février?

JAM: Trop tôt pour en parler.

 



to be continued...

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