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La grosse colère du gendre de Lacan
Jacques-Alain Miller réveille la guerre entre écoles psychanalytiques.

D'ordinaire, Jacques-Alain Miller, gendre de Jacques Lacan et président de l'Association mondiale de psychanalyse, est un homme discret. Austère même. Or depuis une semaine, il ne décolère pas. Il explose. Publiquement. Et sa colère est remplie de mots à grand spectacle qui ne seraient guère pris au sérieux si ce n'était pas lui qui les prononçait: «Cette fois-ci, c'est la lutte finale. Je sors l'épée. Il y en a marre. Ils pensent qu'ils peuvent me traiter comme ça. Alors que ce dimanche 9 septembre, il y aura vingt ans que disparaissait Jacques Lacan, moi, je vais leur montrer comment je les traite.» La cause de cet emportement? A lui, le lacanien historique, on a refusé la publication d'un droit de réponse dans la Revue française de psychanalyse, publication des freudiens de toujours.

D'ordinaire, Jacques-Alain Miller, gendre de Jacques Lacan et président de l'Association mondiale de psychanalyse, est un homme discret. Austère même. Or depuis une semaine, il ne décolère pas. Il explose. Publiquement. Et sa colère est remplie de mots à grand spectacle qui ne seraient guère pris au sérieux si ce n'était pas lui qui les prononçait: «Cette fois-ci, c'est la lutte finale. Je sors l'épée. Il y en a marre. Ils pensent qu'ils peuvent me traiter comme ça. Alors que ce dimanche 9 septembre, il y aura vingt ans que disparaissait Jacques Lacan, moi, je vais leur montrer comment je les traite.» La cause de cet emportement? A lui, le lacanien historique, on a refusé la publication d'un droit de réponse dans la Revue française de psychanalyse, publication des freudiens de toujours.

Que comprendre à ce nouvel épisode de la guerre entre lacaniens pur-jus et freudiens arc-boutés? Est-ce simplement l'émergence d'une goutte d'eau qui a fait déborder le vase de vieux conflits? Ou bien y a-t-il anguille sous roche, un peu à la manière des industriels qui lancent des OPA hostiles les uns contre les autres? Petit retour en arrière: Jacques-Alain Miller, disons «JAM», n'est donc pas n'importe qui. Gendre de Lacan mais surtout dépositaire officiel des écrits du célèbre psychanalyste, il occupe une place imposante dans le milieu analytique français. L'homme est efficace. Il a installé son école, imposé son influence en France comme en Amérique latine. Le tout sans trop apparaître, fuyant les médias avec constance. Depuis vingt ans, il a avancé ses pions, essuyé au passage de méchantes critiques pour l'intolérance de sa pensée, voire la manière très personnelle qu'il a eue de décrypter les fameux séminaires de Jacques Lacan. Il n'empêche, JAM s'en est apparemment moqué. «Je travaille», disait-il en substance. Pendant ce temps-là, le monde a continué de vivre. D'exclusions en ruptures, de multiples autres associations lacaniennes se sont créées. Et à côté d'elles, l'éternelle SPP (Société psychanalytique de Paris, filiale française de l'Association psychanalytique internationale fondée par Freud, dont Jacques Lacan avait démissionné avec éclat en 1953) a continué son bonhomme de chemin. Le temps passant, la situation a même paru se détendre. Les chapelles se sont faites moins hermétiques, nul ne contestant plus, par exemple, le rôle essentiel joué par Jacques Lacan.

Droit de réponse. Voilà donc que tout redémarre. Et pas là où l'on pouvait s'y attendre. Car on aurait pu croire que si affrontement il y avait, il aurait lieu entre lacaniens. Nullement. Là, on assiste au vieux conflit entre les deux associations «historiques» des analystes. En juin dernier, la revue de la SPP a en effet publié un numéro sur les «courants de la psychanalyse contemporaine». Dans ce numéro, l'un des auteurs, Gilbert Diatkine, a égratigné JAM. En particulier, il a mis en cause la formation des analystes lacaniens. JAM a adressé à la Revue un droit de réponse, poli et anodin. Refus de celle-ci de le publier. «II n'y avait pas de raison de le passer, d'autant que sur la question de la formation des analystes, il était écrit que les amis de Miller, eux, au moins, étaient formés», explique Paul Denis, directeur de la Revue. «C'est une revue scientifique, ajoute Gilbert Diatkine, ce n'est pas un lieu de contestation ni de droit de réponse.»

Bref, il s'agirait d'une simple petite vacherie dans le monde compliqué des analystes. Mais celle-ci ne passe pas. Et pour la première fois, JAM réagit. Sans retenue. Mais comme si Jacques-Alain Miller avait aussi quelques autres idées derrière la tête, il ajoute: «L'exaspération est une chose, mais grâce à mon exaspération, je vais changer la configuration des forces dans le milieu psychanalytique français et international. Je vais regagner une partie du terrain médiatique que j'ai laissée il y a dix ans.»

«Terre promise». En face, Gilbert Diatkine joue le modeste: «J'attends de voir ce qu'il va faire, je suis désolé de lui faire dépenser de l'argent.» Quant à Paul Denis, directeur de la revue, il se veut fin politique: «Il est trop clair que cet incident ne mérite pas la distribution gratuite de deux mille exemplaires numérotés d'une brochure de quinze pages, destinée à être suivie d'autres livraisons. Malgré le ton de ce texte, il est également douteux qu'il s'agisse d'une simple distribution gratuite de "narcisseries". Il s'agit d'un manifeste.» Pour lui, l'objectif de JAM est clair: «Faire entrer le mouvement lacanien dans la terre promise de l'Association psychanalytique internationale». A ses yeux donc, JAM serait lancé dans une croisade, à l'assaut de la maison mère.

A l'heure où l'Etat se pose de plus en plus la question de contrôler la formation des analystes, serait-on parti pour une nouvelle guerre inédite entre certains d'entre eux? «Plus personne ne veut de grandes centrales qui régissent tout, tente de répondre Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse. Aujourd'hui, les analystes se fréquentent, sans exclusive. Ce conflit est d'un autre temps.».

ERIC FAVEREAU